Un jour ou l’autre, chacun de nous se prend à se demander ce que tout cela signifie. Toutes ces journées à courir plaines et bois, obstiné dans la grisaille de l’automne ou le froid rigoureux de l’hiver, marchant avec peine dans la boue, le visage meurtri par la pluie verglaçante, la besace vide et le cœur lourd d’interrogations…
Qu’est-ce que je fais là ? Personne n’a de réponse claire, seulement quelques souvenirs et des ombres familières qui reviennent : un regard paternel, un rendez-vous de chasse, un repas entre amis, ces discussions de tartarins, le regard de nos chiens heureux… Voilà ce qu’est la chasse, en vérité ! Ce n’est pas le sang, ni les trophées, c’est un sentiment grave, des émotions toujours vivantes.
Chasser, c’est d’abord une quête
Bien malheureux celui qui n’a jamais vu un cerf couper un layon dans le brouillard matinal, jamais senti son cœur suspendu face à une bête noire. À la chasse, on peut arpenter des hectares pendant des heures sans jamais tirer un coup de fusil. Souvent, on se laisse surprendre par le fracas d’un animal qui surgit, on le contemple puis on le laisse disparaître dans un bruissement discret. Chasser c’est regarder, apprendre à démêler les empreintes sur la terre, le langage du vent dans le murmure des feuilles et surtout ces silences qui enveloppent tout.
À la chasse le temps s’épure, il ralentit, s’efface. On marche sans un mot, on peut attendre souvent des heures. La chasse dépouille, elle oblige à se cantonner au plus profond de soi. Pas de masque, pas de bravade, seulement la solitude nue. Dans ces moments suspendus, nous entrevoyons tout ce qui nous dépasse. En nous revit cet homme des bois, celui qui autrefois, il y a bien longtemps, foulait la terre pieds nus, connaissait la faim ; celui pour qui chasser était une question de survie, pour lequel la moindre blessure pouvait vite devenir fatale. Chasser, c’est ranimer ces liens anciens avec les habitants de la forêt, notre première maison. Le monde moderne s’efface. Plus de bruits inutiles, parfois quelques mots simples. La quête ne se crie pas, elle se garde, se savoure au plus secret de son être.
Puis vient le moment du tir…
Il revient toujours. La quête est terminée. On tire, puis on demeure immobile. Pas de triomphe. Une vie a été prise. En retour, on offre un silence grave. Le chasseur porte en lui la compassion. Il respecte la mort qui est toujours une rude leçon. Face à cette bête tombée, il pressent avec humilité qu’un jour ce sera son tour. La vie est courte, elle presse à agir. Chaque jour reçu, il y a un don à faire fructifier. Alors, finalement, pourquoi continuer à chasser ? Pour l’incroyable beauté de la nature. Pour la joie furtive de croiser des animaux sauvages, vifs, farouches. Supporter le froid, la fatigue et la pluie, cette ascèse lave l’âme. Et puis, le jour d’après, il y a le plaisir revivifié de continuer son chemin.
Christophe Dufourg Burg